Sur 6 ha du site de la centrale thermique de Gardanne-Meyreuil l’entreprise allemande HY2GEN projette d’installer une usine produisant des carburants dits verts à partir d’électricité dite verte, d’eau et de biomasse forestière, opérationnelle en 2027.
LE PROJET
Il couple deux chaînes de production. La première produirait de l’oxygène et de l’hydrogène par électrolyse qui, grâce à l’électricité, casse les molécules d’eau. La deuxième serait une usine de gazéification de biomasse forestière pour en extraire le carbone en utilisant la chaleur de combustion d’une partie de l’hydrogène produit. Le gaz obtenu, mélange de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrogène, serait enrichi par de l’hydrogène et de l’oxygène produits par l’électrolyse et passerait dans un réacteur où, sous certaines conditions de température et de pression et en présence d’un catalyseur, il y aurait recombinaison des molécules.
En sortie, le gaz serait condensé sur une colonne à plateaux permettant de recueillir du kérosène, du méthanol et du diesel, carburants de synthèse destinés aux bateaux et aux avions, et du naphta paraffinique utilisé par certaines industries. La production de méthanol n’est prévue que dans une deuxième phase (2030). Les résidus seraient des scories contenant la partie minérale du bois, utilisables comme scories ou évacuées en décharge.
En raison des risques d’incendie et d’explosion, l’usine serait classée SEVESO donc soumise à de strictes conditions de conception et d’exploitation.
Pour éviter de se tromper de cible, il est important de noter qu’il n’y aurait ni combustion de bois ni émission de dioxyde de carbone (CO2).
Si les processus industriels sont connus depuis longtemps, ce sera la première fois qu’ils seraient couplés. C’est pour cela que les porteurs du projet le désignent comme un prototype. Ce qui signifie certainement une période assez longue de tâtonnements et de réglages…
LE FINANCEMENT
Ce projet a été retenu par le Pacte de territoire conclu en 2020 pour accompagner la reconversion de la centrale thermique de Gardanne – Meyreuil et a déjà bénéficié de concours de l’Etat (Fonds charbon) et de l’ADEME pour les études de faisabilité. Et la région PACA le soutient. Au total, pour un coût estimé à 458 millions d’euros, le projet devrait recueillir 163 millions d’euros de subventions, soit un taux de 36 %. Rapporté aux 200 emplois supposément engendrés par le projet (50 directs et 150 induits), cela représente 825 000 euros de subvention par emploi créé ! Le reste du financement proviendrait de fonds propres de l’entreprise HY2GEN (40 %) et de prêts bancaires (24 %).
LE DEBAT PUBLIC
Créée en 2002 sous sa forme actuelle, la Commission nationale du débat public (CNDP) est une autorité publique indépendante dont la mission est de veiller à l’information du public en amont des grands projets d’aménagement ou d’équipement et à sa participation à l’élaboration de ces projets. A cette fin la CNDP organise des débats dont ses représentants sont les garants de la publicité et de la bonne tenue, en particulier sur la sincérité des informations transmises par les porteurs de projet. Mais elle n’a pas à se prononcer sur les projets eux-mêmes.
Sous son égide, 6 réunions publiques avec le porteur de projet, des représentants des services de l’Etat et des experts ont été organisées sur le projet Hynovera de septembre à novembre derniers, alternativement dans les communes de Meyreuil et Gardanne. Ces dernières ayant peu informé sur la tenue de ces réunions, la fréquentation n’a été que d’une centaine de personnes au début mais elle est passée ensuite à environ 500 et a dépassé 800 lors la réunion finale.
Globalement l’objectif de la CNDP a été atteint, mais la réponse à de nombreuses questions a été renvoyée aux conclusions d’études en cours, permettant ainsi au porteur de projet de se défausser face aux questions embarrassantes, notamment sur les impacts et les risques.
PRINCIPALES CRITIQUES
Nous n’évoquerons pas la notion fort contestable de carburant vert car elle n’est pas du fait du porteur de projet mais de l’Union européenne et, faute de place, nous ne serons pas exhaustifs. Ainsi nous ne traiterons pas la forte consommation d’électricité prévue (équivalente à celle de plus de 200 000 foyers), ni du bruit, ni du surplus de camions qui emprunteront des voies déjà très chargées, ni des partenaires financiers, etc.
Une usine chimique Seveso parachutée au beau milieu d’habitations
Dans un cercle de 1 km autour du site Hynovera se trouvent 2 500 logements où vivent 5 000 personnes, ainsi que des bâtiments publics (écoles, crèches, gymnases…). On imagine aisément les dégâts humains et matériels que causerait une catastrophe comme celle de La Mède, AZF ou Lubrizol. Dans un rayon de 4 km on trouve la quasi-totalité des habitants de Meyreuil et Gardanne plus une partie de ceux de Fuveau et de Bouc Bel Air, soit plus de 25 000 personnes. Or, l’impact des catastrophes que nous venons de citer a dépassé 4 km. Et la bastide de La Salle est à moins de 5 km.
Face aux contestations des riverains, trois types d’arguments ont été avancés :
– Pourquoi vous plaindre de l’implantation devant chez vous d’une usine Seveso alors que vous-même avez choisi d’habiter devant une centrale Seveso ? Une telle rhétorique est inacceptable. En effet, dans le cas de la centrale, la plupart des riverains ont choisi de s’établir à proximité, alors que dans le cas d’Hynovera on leur impose la proximité d’une deuxième usine SEVESO.
– Le promoteur jure que tout sera sous contrôle et rappelle que le dossier n’aboutira qu’après examen pointilleux des experts de l’Etat et autorisation du préfet. C’est oublier que le préfet peut ouvrir son tiroir à dérogations et passer outre aux réserves de ses services. Et aussi la faiblesse du niveau de contrôle dans notre pays : le nombre de contrôles y a diminué de 28 % en 15 ans et la comparaison avec des pays voisins, comme l’Allemagne, est édifiante. Chacun sait que le risque zéro n’existe pas. AZF et Lubrizol étaient aussi sous contrôle ce qui n’a pas empêché la catastrophe. Et l’incendie Lubrizol à Rouen il y a trois ans a montré que les services de l’Etat ignoraient presque tout de la nature et du volume des produits stockés.
– En France, 2,5 millions de personnes vivraient à moins de 1 km d’un site Seveso. Mais il ne nous a pas été précisé combien de ces personnes s’étaient installées après la construction du site, donc en connaissance de cause…
Notons enfin qu’au cours de la réunion publique du 9 novembre le directeur du projet Hynovera a déclaré que l’hydrogène n’explose pas, alors qu’en Norvège une explosion s’est produite le 10 juin 2019 sur une station-service suite à une fuite d’hydrogène à l’air libre : ou il n’est pas au courant, ce qui est inquiétant, ou il l’est, et un tel mensonge est encore plus inquiétant…
La ressource en bois est loin d’être assurée
Le plus grand flou entoure les perspectives d’approvisionnement, d’autant que les chiffres fournis sont exprimés tantôt en tonnes tantôt en m3. Certes la région PACA est la deuxième région forestière de France mais la forêt y est fragile, sa productivité est faible en raison notamment des difficultés d’accès à la ressource pour la moitié de sa surface, et elle est soumise à un fort risque incendie et à des risques sanitaires aggravés par le changement climatique. De plus, la demande en bois-énergie a fortement cru ces dernières années.
Les prévisions des services de l’Etat – doublement de la production de bois-énergie sur la période 2019 – 2029 – semblent bien trop optimistes : le sentiment général est que le compte n’y sera pas. Le promoteur semble d’ailleurs le partager puisqu’il affirme que la mobilisation du bois pourra être accrue non pas en multipliant les coupes rases mais en allant chercher le bois là où les forêts sont peu ou pas exploitées à cause des difficultés d’accès, et en persuadant les propriétaires privés de pratiquer une gestion raisonnée de leurs forêts, donc des éclaircies.
Tout repose donc sur des pétitions de principe… De plus, le promoteur affirme que tout le bois utilisé sera certifié, c’est-à-dire issu d’une gestion durable de la forêt. Or en PACA, où deux tiers des forêts sont privées, depuis 25 ans que la certification existe, seules 4% des forêts privées sont certifiées. On voit mal comment d’ici 7 ans il sera possible d’augmenter fortement ce taux… à moins de marabouter les propriétaires !
Il en est de même pour la ressource en eau
Pour le promoteur, le canal de Provence qui est à proximité constitue une ressource assurée, d’autant plus que la consommation, si elle est importante (l’équivalent d’une piscine olympique par jour), ne représente qu’une faible proportion de l’eau délivrée par ce canal. Mais la sécheresse de cet été et les restrictions de consommation qu’elle a entraînées viennent fissurer cette belle assurance : il n’y a qu’à considérer l’état dans lequel était le Verdon (cf. l’article suivant)… Du coup le promoteur, en guise d’écran de fumée, met en avant la possibilité de solutions alternatives (pompage dans les mines ennoyées, dessalement d’eau de mer…) qui n’ont manifestement pas été étudiées et qui ne pourraient que renchérir fortement des coûts de production déjà élevés.
HYNOVERAL’BOL !
C’est une véritable aberration que de dépenser une somme colossale pour installer au milieu d’habitations une usine expérimentale dangereuse et dont les ressources en matières premières comme le bois et l’eau sont loin d’être assurées, tout cela pour créer peu d’emplois, la plupart peu qualifiés, et fournir aux clients potentiels une infime partie des carburants qu’ils consomment. L’Etat et la Région ont-ils évalué de combien d’éoliennes et de panneaux solaires ils pourraient favoriser l’installation en PACA grâce aux 165 millions prévus pour le seul projet Hynovera ? Pourtant, là il s’agit bien d’énergie renouvelable et non de greenwashing comme ici.
Comme l’a montré le débat public, des solutions alternatives existent pour valoriser cette friche industrielle en tournant le dos à l’industrie lourde : centres de recherche et de formation, start-up, parc de loisirs, la palette est large.
Il est donc nécessaire que chacun participe à la mobilisation citoyenne et pacifique grandissante pour faire capoter ce projet, d’autant que d’autres projets Seveso pointent leur nez : il faut être bien conscient du fait qu’une fois le robinet à Seveso ouvert il sera quasiment impossible de le refermer et qu’on va assister ainsi à la création d’un gigantesque complexe chimique dans un milieu fortement urbanisé. En effet, plus il y aura d’usines dangereuses sur le site, moins les surfaces restantes seront attractives pour des projets alternatifs riches en emplois qualifiés ou ouvertes au public.
Si ce n’est déjà fait, nous vous invitons donc à signer la pétition lancée par le collectif CONTRE HYNOVERA, sur le site Change. Org ou la page Facebook STOP au projet de raffinerie Gardanne – Meyreuil
Jean-Pierre Roubaud
08 12 2022